Un regard sur Marie de Mazdalā

Jalili, Ali Reza                                              
Le 28/01/2020 

Le roman original en persan de Hossein Dowlatabadi a été publié à Londres en 2019 par les éditions Mehri.

C’est une histoire bouleversante écrite sans emphase, avec une inventivité singulière dans la littérature moderne iranienne. Elle est racontée selon le point de vue du personnage central, Mariam Tabnak, qui, transgressant nombre de tabous en vigueur dans la société iranienne, brise nos a priori sur le mode de vie des femmes dans une culture pétrifiée par la religion et des mœurs d’une autre époque. L’épisode où elle expérimente une relation lesbienne, décrite sans aucun jugement de valeur, en est une bonne illustration.

L’héroïne casse les codes de la bienséance en société. Avec fierté, elle se qualifie elle-même de « dépravée » et préfère fréquenter des « rebelles » et des « marginaux ». Elle séduit des hommes et, de temps en temps, en ramène un dans sa « garçonnière » de colocation ; elle boit « un ou deux verres de vodka ou de whisky et [fume] cigarette sur cigarette » ; elle exprime sans retenue ses désirs charnels, prenant plaisir à vivre des situations et à avoir des comportements qui franchissent les limites entre le licite et l’illicite. Mariam Tabnak se sent libre de son corps. Comme elle le dit elle-même, sa vie n’est « qu’un tissu de mensonges ». En réalité, l’hypocrisie généralisée qui est devenue la manière d’être ordinaire de ses concitoyens lui fait horreur, une horreur absolue telle qu’elle rêve de « commettre un massacre [de ces] charognes ». Mariam est un oiseau blessé, épuisé, qui assume sa rupture avec ces gens qui vivent « dans les ténèbres, dans le bois pourri, hors du monde comme des termites, sans traits distinctifs, étroits d’esprit, rétrogrades, fanatiques, avares et rigides ». Elle a souvent connu des échecs mais, sans jamais perdre la face, elle continue d’affronter les vents contraires, gardant toujours l’espoir de « laisser une lucarne entrebâillée, afin de permettre l’entrée d’un peu de lumière dans [sa] vie » et d’empêcher l’obscurité de tout envahir.

C’est alors que l’amour, comme dans un ravissement, s’empare d’elle. Elle s’y voue corps et âme, apportant toute l’affection dont elle a été privée à Kamal, son bien-aimé. Mais est-ce une rédemption ou une chute ? Emporté par le tourbillon des événements, il ne restera bientôt de Kamal qu’une ombre angoissée. Mariam, en vain, tentera tout pour le sauver. Les blessures sont telles qu’elles se creusent et détruisent tout ce qui est encore vivant en lui. L’amour étrangle les deux amants telle une corde de pendu, et devient un huis-clos chargé d’équivoque et de suspicion. Avec l’amour perdu se dissipe le rêve d’une vie paisible.

L’auteur, d’une écriture simple en apparence, nous montre la complexité d’une vie d’errance et de malentendus dont le mensonge est la clef de voûte. Nous sommes loin d’une vision simpliste ou seulement idéologique du monde et des personnages. Son scalpel fouille en profondeur, jusqu’aux origines de ce mode de vie basé sur le mensonge. L’amour, vécu comme un simple refuge et non comme un enchantement mutuel, pousse le couple dans les abîmes de l’enfer.

Notre Marie-Madelaine, Marie de Mazdalā, n’est pas une sainte. L’auteur semble reprendre à son compte la conclusion de la célèbre parabole : « Que celui qui n’a pas commis de péché lui jette la première pierre ! » Malgré une concision que nous pourrions parfois regretter (le chapitre du retour du couple à Kerman mériterait ainsi un plus grand développement), ce roman est ô combien ! attachant et d’une grande force.